Publié précédemment par Imagine Canada 360 le 2 septembre 2020
La rencontre de deux univers : structures organisationnelles complexes dans le secteur caritatif
Aucune réunion des actionnaires de Power Corporation du Canada ne se passe sans questions sur la complexité de la structure de l’entreprise. Brookfield Asset Management est l’un des chouchous du TSX, mais encore là, les actionnaires posent régulièrement des questions sur le dédale d’entreprises qui forment son conglomérat.
Jusqu’à tout récemment, rarement avait-t-on entendu les mots « conglomérat » et « dédale » en lien avec les organismes de bienfaisance, mais le scandale d’UNIS a soulevé des questions sur des structures complexes et opaques dans le secteur caritatif. Les donateurs et les jeunes qui ont trouvé inspiration dans les méga-événements d’UNIS ont tout à fait raison d’être préoccupés. Ce scandale pourrait-il avoir un effet d’entraînement et miner la confiance du public envers l’ensemble du secteur?
Dans le monde des affaires, les structures complexes et imbriquées englobant de nombreuses entités n’ont rien d’anormal. Les promoteurs immobiliers créent une entreprise distincte pour chaque projet afin de protéger leurs actifs en cas d’échec.
Les sociétés multinationales se servent d’entités dans différents pays pour réduire ou transférer leur facture fiscale en transférant les profits à des sociétés affiliées enregistrées dans des pays avec un fardeau fiscal moindre. Les revenus fiscaux perdus dans les pays où l’activité économique se déroule et l’absence de transparence de bon nombre de ces transactions ont donné lieu à un mouvement de protestation mondial et à des appels pour une règlementation transnationale de ces sociétés.
Parmi les organismes de bienfaisance qui opèrent sous un nom de marque commun et pourraient être perçus comme une seule entité, plusieurs forment en fait un réseau d’organisations distinctes et interreliées. Dans certains cas, ces liens sont transparents et logiques et ne posent aucun souci pour le public. Dans d’autres cas, ces liens sont embrouillés et opaques. Ainsi, Michelle Douglas qui a démissionné de son poste de présidente du conseil d’administration d’UNIS en mentionnant des « développements préoccupants » a plus tard précisé que ces derniers incluaient la difficulté pour elle d’obtenir de l’information financière détaillée concernant UNIS et ses entreprises sociales affiliées.
À la base, il n’y a rien de mal à ce que les organismes de bienfaisance utilisent plusieurs entités pour réaliser leurs missions complexes dispersées sur le plan géographique. Cependant, dans de rares cas, le problème vient du fait que la structure organisationnelle compliquée peut créer les conditions propices à procurer un avantage personnel aux personnes associées à l’organisme. Le soupçon d’avantages personnels injustifiés peut naître lorsqu’un conglomérat caritatif refuse de rapporter en toute transparence les activités financières de l’ensemble du réseau d’entreprises. C’est ce qui est arrivé dans le cas d’UNIS.
Bien faire les choses : conglomérats caritatifs en action
Les YMCA, Centraide et Repaires jeunesses fournissent d’importants programmes et services à l’échelle locale, ce qui requiert une certaine autonomie des groupes locaux pour servir une communauté en particulier. Voilà des exemples d’organismes qui amalgament des organisations locales ou provinciales distinctes dans une grande fédération aux valeurs et aux objectifs communs. Bien qu’on puisse discuter des défis inhérents à la direction de telles fédérations à l’ère numérique, l’existence même d’un modèle fédéré réunissant plusieurs organisations distinctes sous une même marque n’a rien de répréhensible. Les questions de responsabilités et de déclaration des informations sont plus complexes dans les grandes fédérations, mais elles travaillent souvent fort pour guider les donateurs à travers leur structure difficile à cerner. YMCA, Centraide et Repaires jeunesses en sont de bons exemples.
Les fondations associées, répandues dans le secteur hospitalier, sont un autre exemple de multiples organismes qui partagent souvent un même nom de marque. La multiplication des fondations associées a suivi la création du système de santé publique du Canada dans les années 1960 instaurant le financement public des hôpitaux. Décidés à préserver les revenus provenant des collectes de fonds pour les activités financées seulement en partie par les gouvernements, les hôpitaux ont mis en place des fondations associées dans le but de recueillir des fonds pour les activités insuffisamment financées en vertu de la Loi canadienne sur la santé, dont la recherche en santé, la formation des professionnels de la santé et les besoins en capitaux. D’autres fondations associées servent à héberger des fonds de dotation et à respecter la discipline nécessaire pour recueillir des fonds à long terme. En effet, la mise en place d’une structure distincte consacrée aux activités à long terme est souvent indispensable pour les organismes caritatifs dont les activités opérationnelles régulières sont chroniquement à court d’argent. Il en est ainsi pour de nombreux grands organismes dans le domaine des arts comme l’Opéra de Montréal et les orchestres symphoniques de Toronto et de Vancouver qui comptent tous sur une fondation associée.
Les organisations à but non lucratif qui sont des organismes de bienfaisance enregistrés peuvent aussi créer des compagnies à capital social (ou à but lucratif). Bien qu’ils puissent générer des revenus d’activités commerciales sans créer d’entités distinctes, certains organismes de bienfaisance décident de le faire et d’y placer ces activités afin de limiter les risques. Une entité séparée peut également être requise lorsque plusieurs organismes de bienfaisance s’unissent dans une coentreprise pour exploiter des services partagés. À titre d’exemple, des hôpitaux situés à proximité l’un de l’autre pourraient posséder conjointement une compagnie pour leurs services de nettoyage et de diagnostic. Les universités participent régulièrement à la création d’entreprises commerciales, et en conservent des parts, établies pour commercialiser les inventions et d’autres formes de propriété intellectuelle développées par leur corps professoral et par leurs étudiants. À une époque où le financement public des organismes de bienfaisance diminue et la concurrence pour obtenir des dons s’intensifie, les organismes doivent mettre en place des sources de revenu commercial. Cette évolution doit être applaudie et facilitée par des structures organisationnelles flexibles qui favorisent la gestion des risques.
Les périls de l’obscurité : mettre en jeu la confiance du public
La Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada (ARC) offre des directives et impose certaines règles en fonction du type d’activité commerciale menée par un organisme de bienfaisance. Encore là, tout va bien à condition de respecter ces règles. Puisque les organismes de bienfaisance bénéficient d’importants avantages fiscaux, ils sont tenus d’utiliser leurs ressources pour le bien public et d’offrir des avantages concrets à la collectivité ou à une partie de la collectivité, et ils ne peuvent conférer de bénéfice personnel à quiconque a un lien de dépendance avec eux. Ces règles n’empêchent aucunement les organismes de bienfaisance de mener des activités commerciales pourvu que les profits de ces activités soient utilisés pour la réalisation de leurs fins de bienfaisance. Si la nature des activités commerciales n’est pas liée aux objectifs de l’organisme de bienfaisance, les profits sont imposables.
Le cas de l’organisme Pediatric AIDS Canada/USA est éclairant. Plusieurs administrateurs de l’organisme possédaient également une firme de télémarketing. En 2011, la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC a révoqué son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance après qu’une vérification avait permis de conclure que « l’organisme a consacré la majorité de ses ressources aux dépenses pour la collecte de fonds et l’administration plutôt qu’à ses activités de bienfaisance. » Dans son filet complexe, l’organisme avait mis en place un modèle de collecte de fonds par téléphone très agressif, qui consommait la majorité de ses ressources. Pediatric AIDS Canada/USA n’a pas passé le test de l’intérêt public. Les rôles complexes et imbriqués de ses administrateurs propriétaires de la firme de télémarketing ont de plus favorisé des avantages personnels injustifiés.
Mais revenons à UNIS. Se pourrait-il que les entreprises privées présentées par UNIS comme des entreprises sociales et qui font partie d’un labyrinthe d’entités ayant en commun la marque UNIS soient des vecteurs d’avantages personnels injustifiés? Personne ne le sait. Aucun rapport transparent des activités financières combinées des organisations UNIS et des organisations associées n’est disponible. Toutefois, la démission de Michelle Douglas du poste de présidente du conseil d’administration sème le doute. Pourquoi UNIS continue-t-il à refuser de publier toute l’information transparente sur les entités qui composent sa structure?
Établir une nouvelle norme : la voie vers l’avenir pour le secteur caritatif du Canada
Les instances de règlementation des organismes de bienfaisance au Canada ne fournissent pas de directives particulières pour les situations où plusieurs entités sont étroitement liées par des administrateurs qui siègent aux conseils d’administration de l’une et de l’autre de ces entités. Le Programme de normes d’Imagine Canada a dû composer avec cet enjeu. Jusqu’à maintenant, le Programme a maintenu le principe d’accorder l’agrément à une entité à la fois et de s’assurer que le sceau de confiance n’est utilisé que par l’entité agréée. Aucune norme n’exige un niveau de divulgation particulier pour les organismes de bienfaisance qui font partie d’un réseau d’entités sous la même marque.
Le scandale entourant UNIS provoquera-t-il une réflexion quant au besoin de créer une telle norme? Personnellement, je pense que les dirigeants du secteur caritatif, et j’en suis, doivent se pencher sur cette importante question. Nous ne pouvons accepter que le scandale UNIS vienne entraver la flexibilité dont de nombreux grands organismes de bienfaisance ont besoin pour réaliser leur mission et générer des revenus à l’intérieur d’une structure complexe. Mais nous ne pouvons accepter, non plus, que de telles structures fassent obstacle aux dirigeants des conseils d’administration et aux donateurs dans leur recherche d’information claire et transparente.
Les organismes de bienfaisance qui perpétuent ces structures opaques et entremêlées nuisent à la confiance du public envers le secteur caritatif. Le moment est venu de réclamer de l’ouverte et de la transparence des conglomérats caritatifs. En ce faisant, nous cherchons à atteindre deux objectifs : d’abord, lever le voile sur ceux et celles qui tentent de soustraire leurs activités aux contrôles, puis reconnaître les conglomérats caritatifs au comportement sérieux pour leur gestion responsable des dons.